Pratiques exemplaires

Photo de Sylvain Plourde, EAO.

Une voie toute tracée

C’est en remettant en question ses propres idées préconçues au sujet des peuples autochtones que Laurie Crawford a trouvé sa véritable vocation.

De Philippe Orfali
Photos : Matthew Liteplo

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«On se bat souvent pour éviter de devenir comme nos parents. Or, dans ma famille, comme ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère et ma belle-mère, bref, toutes les femmes de ma famille étaient enseignantes, c’était vraiment la dernière chose que je voulais être!» C’est néanmoins vers cette profession que Laurie Crawford, EAO, s’est tournée après des études en cinéma à Montréal et la naissance de sa fille Grace, Mohawk par son père. Originaire de Cornwall et élevée dans un contexte de tensions intercommunautaires entre Blancs et Autochtones, elle avait toujours montré un grand intérêt pour les communautés autochtones. Mais l’arrivée de Grace, en 2001, l’a poussée à faire un examen de conscience.

«Souvent, on hérite de certaines attitudes et idées qui ne sont pas forcément le fruit d’un engagement authentique avec “l’autre”. En tant que mère, mais aussi en tant qu’enseignante, j’ai voulu m’ouvrir les yeux et le cœur sur la réalité de ces peuples.»

Il y a quatre ans, lorsque le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) a créé un poste de conseillère pédagogique responsable de l’éducation autochtone (de la maternelle à la 12e année), cette pédagogue polyvalente, qui avait enseigné presque toutes les matières, s’est donc littéralement précipitée pour le remplir.

«Je ne suis pas Autochtone, mais je suis une grande alliée des peuples autochtones. Et c’est cette passion et cette ouverture que j’essaie, bien humblement, de transmettre tant à mes collègues qu’à mes élèves.»

Depuis 2017, l’ensemble des conseils scolaires de la province ont engagé des personnes qui, comme Mme Crawford, sont responsables de l’éducation autochtone. Leur mandat consiste non seulement à accroître les connaissances de tous les élèves sur les peuples autochtones, leur histoire et leur culture, mais également à sensibiliser et à appuyer le personnel enseignant. Pour ce faire, ces personnes travaillent de concert avec les communautés autochtones locales et d’autres intervenants.

Les activités de Laurie Crawford, EAO, ici à l’école secondaire publique L’Héritage, permettent d’encourager l’épanouissement de ses élèves.

Mme Crawford le reconnaît sans ambages : l’enseignement des questions autochtones peut être un sujet délicat pour des tas de raisons. Même si certains enseignants font preuve d’un grand intérêt pour le sujet, il arrive parfois qu’ils ignorent tout simplement comment intégrer ces apprentissages au calendrier déjà chargé de leur salle de classe. Parfois aussi, il y a un important travail de sensibilisation à faire.

Au quotidien, Laurie Crawford ratisse donc très large. Son travail l’amène notamment à tisser des liens avec les membres des communautés autochtones locales et à établir ces liens au sein des écoles, à développer la pédagogie et à la faire valider auprès des communautés locales. Elle veille à ce que le conseil scolaire reste à l’écoute des besoins, des idées et des suggestions des communautés autochtones locales, et à ce que ces dernières soient représentées, au besoin, dans les écoles par des élèves.

«Je passe aussi beaucoup de temps à bâtir des relations avec les familles des élèves autochtones pour connaître leurs besoins particuliers. De plus, je travaille avec les organismes autochtones afin que les familles des élèves auto-identifiés soient conscients des services qui sont à leur disposition (par exemple, en santé mentale), et ainsi faire le pont entre la famille, l’école et la communauté.»

Le second volet de son travail concerne directement ses collègues. «Il s’agit littéralement d’accompagner les enseignants et les écoles afin de faciliter la “vérité vers la réconciliation”, dit-elle, par exemple en mettant en pratique les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.»

En tant que conseillère pédagogique travaillant à l’échelle du conseil scolaire, Mme Crawford n’a peut-être pas de salle de classe, mais elle a des milliers d’élèves! Grâce à la création d’œuvres artistiques, cinématographiques, musicales ou photographiques, elle s’arrange pour que chacun de ses passages en salle de classe soit mémorable, et ce, afin d’encourager la différenciation et de donner à ses élèves un accès à différents modèles d’apprentissage authentique, créatif et technologique.

Une grande partie de son travail est, de fait, effectué à l’extérieur des établissements scolaires, puisqu’elle est persuadée qu’il faut aller à la rencontre des communautés autochtones dans leur propre milieu. Cela dit, au jour le jour, elle passe l’essentiel de son temps dans les écoles, travaillant de concert avec d’autres enseignants afin de trouver des stratégies contextualisées qui permettent d’intégrer les perspectives autochtones.

Quand on lui demande à quoi ressemble une de ses journées, l’enseignante éclate de rire. «Un jour, j’aide un enseignant en 3e année à explorer la question des pensionnats autochtones avec ses élèves en animant des discussions. Je fais alors souvent le modelage avec les élèves et l’enseignant. Le lendemain, j’accompagne un artiste mohawk dans une salle de classe de 2e année pour faire de la poterie traditionnelle et explorer comment la culture se transmet par les arts. Un autre jour, je suis dans une classe de mathématiques au primaire pour montrer les stratégies de répétition par le perlage. Et un autre jour encore, je suis avec des élèves de 12e année parce qu’on a organisé des tables rondes avec des membres de la communauté autochtone pour parler de durabilité en agriculture. Je n’ai pas toutes les réponses et je ne connais pas tout, mais mon rôle est d’aider à trouver les personnes, l’information ou l’expérience qui permet d’y répondre.»

Elle a coordonné diverses activités, notamment la conception, en collaboration avec les communautés, de vidéos sur les Inuits, les Métis et les Premières Nations, dont les trames sonores et les montages vidéo ont été effectués par les élèves. Ce genre d’activité lui permet de stimuler l’ouverture des élèves sur le monde.

Les activités peuvent aussi prendre la forme de sorties scolaires, comme des promenades dans la nature, des visites organisées dans des réserves ou des communautés autochtones, ou des expositions d’art autochtone contemporain. Le but est d’encourager l’épanouissement de ses élèves, souvent issus de milieux défavorisés.

«Une stratégie qui fonctionne bien au centre-ville d’Ottawa ne sera pas appropriée à Cornwall, par exemple. Alors, je dois connaître les communautés autochtones locales, la démographie de l’école, l’engagement et les connaissances de l’enseignant et les besoins des élèves (autochtones et non autochtones). C’est un vrai défi de pouvoir arrimer le côté “intellectuel” ou pédagogique et le côté “affectif”. Il faut encourager des prises de conscience et croire en ce qu’on fait.»

«Audacieuse», «engagée», «vivante», «créative et excentrique», c’est en ces termes qu’Édith Dumont, directrice de l’éducation du CEPEO, parle de Laurie Crawford. Elle ne tarit pas d’éloges à son sujet.

«Laurie Crawford est une femme passionnée qui ne cesse d’éblouir par sa bienveillance, son implication, son sens de l’initiative et son dévouement pour les élèves et les communautés du conseil scolaire. Par le biais des outils multimédiatiques, du design créatif, des approches collaboratives et des expériences d’apprentissage authentiques, elle a permis à de nombreux élèves de fleurir en tant qu’artistes, de se dépasser dans leur cheminement scolaire et de collaborer à des projets immersifs et enrichissants. «Mme Crawford a contribué aux efforts d’auto-identification des élèves [autochtones ou métis] et du personnel du conseil tout en participant à l’élaboration, la mise en œuvre, l’évaluation et la révision du plan d’action de notre conseil scolaire en matière d’éducation autochtone.

«Elle prouve quotidiennement qu’il est possible de combiner les apprentissages numériques à la transmission des savoirs autochtones puisés de la tradition orale», ajoute-t-elle.

Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement du Canada l’ait récompensée (elle a reçu son prix en mai dernier), en lui remettant un Certificat d’honneur pour la qualité de son enseignement. Remise tous les ans par le premier ministre, cette reconnaissance rend hommage aux enseignants de l’élémentaire et du secondaire de partout au pays pour leurs accomplissements exceptionnels en éducation.

Surintendante de l’éducation du CEPEO, Ann Mahoney est bien d’accord : «Laurie sait trouver un point d’entrée pour faire évoluer chaque élève et chaque pédagogue avec qui elle travaille. L’intégration des perspectives autochtones se vit dans l’ensemble des écoles du CEPEO grâce à son accompagnement continu des équipes-écoles par le biais d’enquêtes collaboratives».

Elle précise également que Mme Crawford exerce son «leadership systémique», sur le plan local mais aussi à l’étranger, en tant que membre du réseau de collaborateurs du baccalauréat international, où son expertise en la matière est particulièrement appréciée. Pédagogue hors pair, il est impossible de compter les lettres de remerciements que ses élèves, ses collègues et des parents lui ont envoyées, poursuit Mme Mahoney. «Laurie est une personne authentique pour qui j’ai énormément de respect et d’admiration.»

Cette rubrique met en vedette des enseignantes et enseignants qui ont reçu un prix en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.

5 règles d’or

Vous ne savez trop par où commencer pour faire davantage de place à la culture et aux savoirs autochtones dans votre salle de classe? Laurie Crawford, EAO, offre ces quelques conseils.

  1. Prisez l’authenticité.

    Permettez aux membres de la communauté de raconter leurs propres histoires. Ces connaissances se transmettent de génération en génération par la tradition orale, l’observation et l’expérience, et non par les livres.

  2. Écoutez activement.

    Il faut savoir reconnaître que nous n’avons pas réponse à tout et chercher à créer un espace sécuritaire, respectueux et ouvert pour écouter les aînés et membres de la communauté autochtone. La sagesse se comprend par l’écoute.

  3. Remettez-vous en question.

    Il est normal d’être mal à l’aise avec des sujets comme le drame des pensionnats autochtones. Pour faciliter la vérité vers la réconciliation, il en va de notre responsabilité professionnelle d’oser voir les choses comme elles sont.

  4. Trouvez-vous des alliés.

    N’hésitez pas à vous tourner vers la conseillère ou le conseiller pédagogique responsable de l’éducation autochtone ou encore vers l’équipe-école pour obtenir des conseils et discuter de stratégies. Nous sommes là pour ça!

  5. Prenez votre temps.

    Consacrez le temps qu’il faut pour créer des relations réciproques. N’espérez pas y arriver à la hâte. Les relations de confiance prennent du temps à s’établir, tout comme la confiance que vous devez avoir en vos capacités.